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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 20:53

Chers amis,

Suite à la publication de mon dernier article qui visait à éclairer les jeunes qui s'intérrogent sur le sens à donner à leur existence à travers leur avenir professionnel, et donc sur cet avenir professionnel, j'ai reçu un courrier de Monsieur Karl Thir qui a participé au colloque sur le pardon que j'ai organisé en Mars dernière à Lille.

Je vous livre ce texte qui est une excellente traduction et une sélection très judicieuse de l'oeuvre de Victor Frankl. Le premier de ces extraits arrive dans le prolongement de la réflexion sur le choix professionnel. Le second texte porte plus spécifiquement sur notre responsabilité vis à vis du sens de notre existence. Je remercie très vivement Monsieur Karl Thir pour cette très pertinente contribution.

 

Extrait n° 1

L´homme n´est jamais – achevé – mais il est toujours en train de se faire, de devenir. Quant à l´homme il y a divergence entre l´être d´un côté et le pouvoir et le devoir de l´autre côté. Cette distance entre existence et essence est propre à tout être humain en tant que tel. Dans la mesure où c´est le sens de l´être humain de réduire cette divergence, de diminuer cette distance – en un mot : de rapprocher l´existence à l´essence il faut bien remarquer un fait : le fait qu´il n´est jamais question de « l´ » essence, par exemple de l´essence « de l´ » homme que l´homme devrait réaliser, représenter, mais que c´est, au contraire, de sa propre essence qu'il s'agit ; ce dont il est question, c´est la réalisation des valeurs qui est réservée à chaque individu.

La devise « deviens qui tu es » ne signifie pas seulement : Deviens qui tu peux et dois être – mais aussi : deviens celui qud seul toi peux et dois être. Il ne s´agit pas seulement d´être un homme, mais aussi d´être moi-même.

Si le sens de la vie consiste dans le fait que l´homme réalise uniquement sa propre essence, il va de soi que le sens de l´existence ne peut être que concret ; il est valable seulement ad personam – et ad situationem (car ce n´est pas seulement à chaque personne mais aussi à chaque situation personnelle que correspond son accomplissement de sens respectif).

La question du sens de la vie, on ne peut la poser que concrètement, et n´y répondre qu´activement : répondre aux « questions de la vie » signifie de toute façon en répondre, effectuer les réponses. (Viktor Frankl, Der leidende Mensch / L´homme souffrant)

 

Extrait n°2

Viktor Frankl (1905-1997), disciple des pères de la psychologie des profondeurs autrichiens Sigmund Freud et Alfred Adler, a forgé, sous l´influence de l´anthropologie philosophique de Max Scheler, dès 1927 sa propre psychothérapie, la logothérapie (thérapie à l´aide du « lógos » = sens [ancien grec]). Selon Frankl la motivation fondamentale de l´homme n´est ni la « volonté de plaisir » (qu´il attribue à la psychanalyse) ni la « volonté de pouvoir » (concept de l´analyse individuelle) mais la « volonté de sens ». En tant que « personne spirituelle » ou « personne noétique » l´homme dépasse la facticité de la dimension psycho-physique et peut être caractérisé par le terme « existence ». Comme existence, la personne est libre de choisir ses actes et par ses actes son avenir personnel - sur ce point, Frankl est d´ accord avec M. Heidegger et K. Jaspers qu´il a aussi rencontrés personnellement. Mais la personne est aussi responsable : responsable des possibilités de sens qui attendent que la personne les découvre et réalise. L´existence est donc ouverte sur le « logos », le sens. Mais ni l´homme ni le thérapeute ne peuvent inventer n´importe quelle signification, c´est seule la conscience morale qui peut intuitivement saisir le sens particulier – le sens d´une personne concrète dans une situation concrète qui varie de jour en jour et d´heure en heure. Le rôle de la logothérapie n´est pas de décider autoritairement du sens ou du non-sens d´une situation et de la valeur ou de la non-valeur d´une action, mais il consiste à encourager l´homme à se rendre compte de sa liberté et de sa responsabilité. Ainsi l´homme ayant trouvé un sens à sa vie peut mieux affronter les épreuves du destin, expérience que Frankl lui-même a faite dans les tourments de quatre camps de concentration (de 1942 à 1945).

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19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 10:03

Trouver sa voie

Chers amis,

Je reprends l’écriture de mon blog et vous propose d’y trouver de nouveaux types d’articles au gré des questions qui me sont posées dans mes cours ou dans mes lieux de recherche, mais aussi à travers ma famille où je rencontre beaucoup de jeunes gens qui se cherchent et que je souhaiterais aider un peu.

Le monde que nous vivons n’est pas un monde très engageant. Chaque jour on nous martèle qu’il y a la crise, la crise et encore la crise, de quoi déstabiliser toute espérance. S’il y a une chose que j’ai apprise aux Etats-Unis, et même si je ne suis pas enthousiaste pour tous les aspects que revêt ce pays, c’est que la valorisation et le rêve sont des valeurs-clés. Je le pense fermement et c’est aussi de cette façon que je motive mes étudiants : la valorisation et le rêve.

Il y a quelques années, lors d’une rentrée, lorsqu’on remplit les fiches, au lieu de simplement leur demander leur objectif professionnel, j’avais demandé aux étudiants de dire leur rêve professionnel, ce qui créa une stupeur générale. Avaient-ils le droit de rêver, c’est en tout cas ce qu’ils m’ont demandé. Je leur ai répondu, selon une formule célèbre, que rien ne peut se produire de véritable quand il n’y a pas de rêve. C’est le rêve, l’émerveillement, l’admiration, l’attirance profonde qui peuvent seuls porter de grands destins. Je les ai donc encouragé à rêver et à se projet dans leur rêve. Je les ai revu depuis et certains m’ont remercié de leur avoir parlé comme cela, c’est-à dire aussi de les avoir placé devant eux-mêmes. On ne peut pas se mentir à soi-même et l’on doit incarner, véritablement incarner la responsabilité que l’on a de se porter soi-même dans son destin.

Rêver ne veut pas dire s’engager aveuglément, c’est bien plutôt se mettre au diapason du monde, c’est se trouver une place harmonieuse dans le monde. Alors, avant toute chose il convient de s’examiner soi-même pour se projeter dans une telle harmonie : « Qu’est-ce qui me fait rêver ? » « Qu’est-ce qui fera plus tard ma fierté ? » « Quelles sont les capacités que je souhaite multiplier ? ». On peut aussi se demander comment on peut à partir de soi-même épater ses amis. Cette question n’est pas vaine : être capable de créer l’admiration, c’est être capable de se dépasser et cette question peut nous informer sur la manière dont nous nous projetons dans la vie.

Ah, oui, j’ai oublié de vous dire –et je parle ici pour ces lycéens qui sont aussi lecteurs du blog- que quand on entre dans la vie active, il y a ceci de merveilleux qu’elle continue à nous former. Aussi ne cessons-nous de nous former tout au long de la vie dans et par le travail que nous avons choisi. Chaque jour contient ses propres surprises et vient nous cueillir dans l’émerveillement.

Ce qui m’émerveille en tant que « prof. », c’est le progrès de mes étudiants, c’est leur envie d’apprendre, c’est leurs questions, leur intérêt pour les matières que j’enseigne : je suis philosophe mais aussi professeur de civilisation britannique, donc angliciste. J’éprouve toujours un immense plaisir à travers mon métier.

Alors, aux questions des lycéens qui se demandent quel métier faire plus tard, je répondrai qu’il ne faut pas essayer de trouver le métier qui intéresse mais formuler la question différemment : « Quel monde veux-je habiter à travers mon métier ? » « Par quoi suis-je émerveillé ? ».

Considérons donc plusieurs domaines :

  • Le monde de la philosophie apporte des questions à résoudre, comme des problèmes d’arithmétique. Il expose des mécanismes insoupçonnés et il est fascinant de découvrir ces arcanes du sens. C’est une exploration merveilleuse.
  • Le monde de la politique offre lui aussi à comprendre des mécanismes mais ce ne sont pas les mêmes. On se pose alors la question de savoir ce qui régit au mieux la vie des citoyens dans cette grande cité qu’est devenu l’espace mondialisé. Comment se situer ? Comment interférer ? Comment agir pour le bien commun ? Ces questions peuvent être des questions qui motivent toute une vie.
  • Le monde de l’économie est lui aussi un monde qui repose sur des mécanismes et jamais l’on ne s’écarte de l’humain. Les questions qui motivent de grands économistes comme Amartya Sen pour qui j’avoue avoir une admiration sans borne (et ses écrits sont très clairs et faciles à lire) tant il réfléchit sur la justice et l’éthique sociale, sont les suivantes : comment penser la donne de façon la plus juste ? Comment penser la répartition des richesses et leur flux de manière à ce que l’humain s’en trouve grandit ? Là aussi l’économie permet de s’engager de façon éthique dans son destin et ce peut être un merveilleux destin.
  • Le monde du commerce –et j’ai eu beaucoup d’étudiants en HEC- touche de près cet engagement éthique et permet également d’apprendre beaucoup des différentes cultures. On enseigne maintenant l’interculturalité dans les grandes écoles de commerce et si la mondialisation est porteuse de problèmes à regretter, elle est aussi porteuse d’une promesse : celle de l’échange interculturel qui fait que l’on découvre le monde de l’autre, ses valeurs, ce qui le régit, ce qui ordonne sa vie individuelle et collective.
  • L’univers du vivant, la biologie, la médecine ou les sciences médiales sont encore un engagement auprès d’autrui et un grand service rendu à la société. L’effet d’un remède sur un patient, la réparation d’autrui, l’inquiétude qui vient solliciter et elle-même requérir savoir pour appliquer un traitement, cela aussi est fascinant, tout aussi fascinant que de constater les progrès d’un élève. Dans la médecine comme dans les autres métiers, on a la possibilité de transformer une donnée insatisfaisante en un résultat meilleur. On en sort avec une grande fatigue mais aussi un sens éthique démultiplié.

Alors, à la question de savoir « Que vais-je faire plus tard », je répondrai à l’élève : « projette-toi dans ces différents mondes, essaie d’en écrire le fonctionnement et regarde ce qui te fascine le plus sans jamais plus cesser de le tenir en vue. Alors tu ne cesseras plus de vivre dans le dépassement de toi-même et tu trouveras toutes les ressources nécessaires pour pourvoir à ce dépassement et un jour tu t’apercevras que c’est ce monde-là lui-même qui te portes. Ce jour-là est une véritable fête, un immense bonheur ! Et cette tension vers soi-même, ce mouvement, cette énergie permet de surmonter à tout moment les difficultés que posent aussi le monde humain, et ce dans tous les domaines, qu’ils soient économique, commercial, médical, pédagogique ou politique…

 

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 09:27

L’annonce de la réduction de vingt milliards de livres des dépenses de l’Etat ne concourt certainement pas à apaiser la révolte sociale qui s’élève aujourd’hui en Angleterre. Dans une Europe ultra-libérale qui fonctionne à partir de la donne économique, qui n’est donc plus l’Europe sociale dont chacun avait pu rêver lors du traité de Maastricht et qui mettait en avant les échanges désormais possibles entre universitaires ou les échanges culturels de tous ordres. L’Europe allait permettre d’accroître la donne sociale, humaine et culturelle. Cette belle illusion a cédé la place à une pensée du calcul où l’humain entre dans la calculatrice pour être réduit à ce qui fera la satisfaction ou non de l’opération.

En nommant l’Etat et les dépenses de l’Etat, la BBC n’a certainement pas conscience de l’impact discursif et humain que produit son message. Une pensée des catégories s’est installée : d’une part il y a le peuple en grogne ou en révolte, plongé dans l’incertitude d’un avenir laborieux ou non, dans l’incertitude d’envisager ou non sa retraite, l’avenir des enfants, dans l’incertitude donc, non plus seulement d’un bonheur possible, mais d’une survie possible. Dans le grand moteur de la calculatrice tout devient possible sans que ces possibilités ne soient systématiquement des opportunités : tout et son contraire donc. D’autre part, il y a l’Etat vu à l’aune de la personnification et l’on pense d’abord, quand on entend « dépenses de l’Etat », aux  dépenses de la présidence, de la chancellerie ou du ministère selon les formes que prennent les régimes politiques européens. Ils, c’est-à-dire non pas « nous », le peuple, mais « ils » : ceux qui sont « au sommet » de l’Etat et que l’on assimile à l’Etat quand on entend « dépenses de l’Etat ». Ce sont « eux » qui dépensent ce que « nous » payons et cela devient insupportable quand ce que « nous » payons ne « nous » assure plus le bien communautaire.

Le clivage est consommé : il y a les payeurs d’une part et ceux qui dépensent, gâchent ou volent, d’autre part. Tout caricatural cela puisse-t-il sembler, c’est ainsi que cela est vécu dans la représentation collective et c’est ce sentiment insupportable d’être d’une certaine façon « volé » qui génère la violence qui désormais semble s’installer comme seule forme de discussion et de participation possible. L’unité de mesure à l’œuvre appliquée par les « payeurs » est la même que celle du quotidien, de la gestion ménagère familiale : faire attention, ne pas vivre au dessus de ses moyens, ne pas jeter l’argent par les fenêtres, etc.

Dans le jeu catégorial de la personnification, l’Etat devient celui qui ne sait pas gérer la bourse de la grande famille populaire et la personnification de l’Etat induit une représentation des dépenses considérées  comme dépenses privées, d’où le sentiment de vol. L’écart social affiché entre Madame ou Monsieur l’Etat et le petit peuple alimente la désapprobation et la révolte. C’est pour son propre compte que Madame ou Monsieur l’Etat dépense « notre » argent, l’argent qui doit normalement servir à la garantie d’un bien-être communautaire, argent qui doit être re-distribué donc, ce dont le peuple en révolte n’a désormais plus le sentiment.

Que devient le « nous » populaire et communautaire sinon une participation obligée au chiffre ? Ainsi le chiffre devient-il l’indicateur de l’humain : réduit ou en croissance. Il faut avoir peur ou se réjouir. Et l’annonce de la BBC ce matin, d’une réduction pour le budget 2012, de vingt milliards de livres des dépenses de l’Etat signifie une réduction de ce qui « nous » constitue essentiellement, annonce donc, d’une mise à mort symbolique.

Si la grande machine européenne ne donne plus de signe de vie de son ancrage social, l’Europe, il le semble bien, court à sa perte et les dégâts seront importants. Si les gouvernants assimilés aux gouvernements n’affichent pas une modestie de mise dans leur train de vie, alors, la violence n’a pas lieu de cesser puisqu’elle est alimentée par le sentiment d’injustice produit par le décalage entre ce qui est « donné » (payé et acheté) et ce qui est vendu (redistribué). Si l’humain ne refait pas surface dans le discours politique, alors, l’humain saura réclamer ses droits comme il a commencé de le faire lors des multiples émeutes qui se sont désormais inscrites dans l’histoire européenne. Rappelons encore, pour mémoire, que l’homme ne saurait s’assimiler à du numéraire ou être réduit à du numéraire faute de se sentir concerné, faute de se sentir impliqué et représenté, faute donc, d'exister.

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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 22:21

Le moment que Monsieur Strausskahn a passé ou n’a pas passé dans la chambre d’un hôtel de New York avec une employée est désormais devenue une « affaire ». On parle très vite dans les médias de l’Affaire Strausskahn pour ne plus employer que ses initiales DSK. Tout le monde sait dès lors de quoi il est parlé et le code est posé ferme sur le sol linguistique. On parle alors de l’affaire DSK, de ce que risque DSK, de l’avenir de DSK, de la peine encourue par DSK, de la libération de DSK. On parlera plus tard de « la femme de chambre », la dénommant par sa fonction, précisant qu’elle est mère-célibataire, que son frère est son ami, etc. etc.

Les journaux d’Outre-Atlantique se déchaînent et les journalistes américains et anglo-saxons ne comprennent pas pourquoi des voix en France soutiennent Monsieur Dominique Strauss-Kahn par delà l’acte qu’il a commis ou n’a pas commis.

J’assistais au mois d’octobre 2010 aux Rendez-vous de l’histoire à Blois et le thème était précisément « Faire justice ». On se demandait alors autour d’une table ronde réunissant diverses personnalités dont des déportés de la seconde Guerre Mondiale, si l’on pouvait dire que l’on ait fait justice des camps nazis et si l’injustice pouvait ainsi se clore. Il me semble aujourd’hui, que ce « faire justice » s’invite au programme du déferlement médiatique qui sourd de cette affaire. En effet, si l’on ne peut que déplorer qu’une jeune femme de chambre ait été molestée, ou abusée et il faut le déplorer si cela s’est vraiment produit car c’est une existence à jamais brisée, on ne peut pas et on ne le fait pas en France, se réjouir du traitement que l’on fait de Monsieur Strauss Kahn. Il est assez saisissant que cette affaire ait même volé la vedette à une autre affaire qui elle aussi convoque un faire justice un peu discutable : l’affaire Ben Laden. Et l’on ne peut que constater que le sentiment du faire justice est radicalement différent en France et dans les institutions françaises et Outre-Atlantique.

Je reviens de ce pays que je trouve très intéressant et qui est aussi porteur d’une grande richesse culturelle et intellectuelle. Mais quand je suis arrivée, on fêtait littéralement sinon la mort du moins l’assassinat (s’agit-il d’autre chose tout légitime cela soit-il ?) de Ben Laden. J’avoue que j’étais un peu surprise que l’on puisse organiser des banquets ou des « parties » autour de l’assassinat de quelqu’un, cela soit-il l’ennemi public numéro 1.

A ce jour, le Time Magazine parle des mœurs des français qui acceptent tout à fait disons, la drague, le flirt non voulu ou la promotion canapé. Je pense profondément que les auteurs de ces articles n’ont pas compris que la Justice en France représentait un incontournable et qu’il n’est pas possible de faire justice soi-même. Je pense aussi que le déferlement médiatique et toutes les informations privées qui sont données et exposées sur la place publique relativement à l’adresse de Monsieur Strausskahn et de sa famille constituent la base d’une lapidation publique. Le peuple peut mettre symboliquement à mort une personne, et la rumeur, l’accusation, les attroupements massifs, le déferlement ne constitue rien d’autre qu’une lapidation sur la place publique. Il s’agit d’un faire justice publique pour quelqu’un dont on estime qu’il doit éprouver le mépris que le peuple a pour lui. Alors non, la France interdit de se faire justice soi-même et l’on n’a pas l’impression en France qu’il faille se réjouir de cet acharnement ou y prendre part. Seul le procès pourra faire justice. Seul le juge pourra faire justice mais notre culture ne nous permet pas de nous réjouir ou de prendre part au lynchage. A word to the wise !

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 09:40

Au moment où avait lieu le colloque dont nous avons maintenant beaucoup parlé (mais dont le thème est loin d’être épuisé) et qui recevait le soutien de la Mairie de Lille, se tenait à la Mairie un événement qui vient redire tout l’engagement de notre région et de sa capitale dans la lutte contre l’exclusion, contre l’enfreinte de la dignité humaine. En effet, ce vendredi 11 mars, Stéphane Hessel recevait la médaille d’or de la ville de Lille. Ainsi la Voix du Nord consacre-t-elle ce vendredi 11 mars, à la fois une page à l’invitation de Stéphane Hessel en Mairie de Lille et un article bien placé pour le colloque sur le « pardon à l’épreuve de la déportation. »

Que cela signifie-t-il ? Quel sens donner à cette conjonction sinon que les médias comprennent l’urgence de l’engagement et de la lutte contre la xénophobie et toute forme de dégradation humaine.

Qu’est-ce qui est essentiel dans cette lutte ? Stéphane Hessel a fait resurgir un concept-clé : celui de l’indignation. L’indignation désigne notre capacité à réagir face au mal commis sur autrui. L’indignation est une force vive qui permet de ne pas laisser s’installer des pratiques injustes engendrant d’injustes souffrances pour des hommes, des femmes et des enfants en difficulté. L’indignation permet de trouver en soi la force de dire « NON » : « Non, nous ne voulons pas cela et nous ne pouvons pas laisser faire cela. »

Aussi, pour faire référence à des articles plus anciens où je dénonçais l’indifférence vis-à-vis de la pauvreté qui s’installe aujourd’hui très confortablement en France (pardon de ce cynisme), pouvons-nous dire à présent que c’est justement l’indignation et la capacité de se mettre en colère qui permettent de refuser la misère sociale et morale dans laquelle se trouve aujourd’hui plongée toute une partie de la population et cela n’est pas une fatalité.

Nous sommes les enfants et les petits enfants de ceux qui ont vécu le deuxième conflit mondial et ont à travers ce conflit fait l’expérience de la plus ignoble des barbaries qui ait jamais été organisée par l’être humain envers lui-même. Nous avons donc le devoir d’écouter la parole de ceux qui ont ainsi souffert et qui ont été également les témoins de cette violation hors-du commun. Que nous dit cette souffrance ? Cela est essentiel.

Nous avons en nous des trésors d’humanité qu’il convient de cultiver. Je pense par exemple à notre sensibilité. Pour s’indigner il faut savoir se laisser émouvoir et ne pas détourner le regard de ceux qui à même le sol, ne pouvant descendre plus bas, sollicitent quelque chose de nous. Un cri, une demande, l’objet fictif bien qu’indispensable étant l’argent. Mais au-delà de cet objet fictif, on peut entendre ce qui nous est demandé : un effort pour ne pas laisser les choses en cet état.

La grande question est donc : comment faire ? Par l’engagement que l’on met en place et que l’on manifeste, on agit déjà. Donner l’exemple n’est pas une vaine expression. L’exemple s’inscrit dans le champ de ce que tout un chacun peut suivre. Aujourd’hui, il y a souvent confusion entre celui ou celle qui entre dans le champ de l’exemple et celui ou celle qui représente un(e) « people ». Je pense que le contre-pied de l’indignation est l’admiration et qu’il ne saurait y avoir d’indignation sans admiration. J’admire la force morale de Monsieur Hessel et je l’admire d’autant plus qu’il la porte du haut de ses 93 ans ! Je pense que nous avons en sa personne un exemple admirable qui peut nourrir notre esprit et notre âme et ceux des jeunes générations. Je pense aussi que nous avons besoin aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales d’un peu plus de prestance et de grandeur et qu’il est de notre devoir d’adultes et d’enseignants de montrer à ces jeunes générations ceux qu’elles peuvent admirer ou le type de personnalité qu’elles peuvent admirer. Non que je souhaite les détourner de leurs idoles mais je pense que les jeunes esprits ont besoin de ré-apprendre l’admiration ou ce type d’admiration là.

Les grandes forces morales –elles sont pourtant nombreuses- de nos sociétés ont besoin d’être entendues et écoutées. L’écoute s’apprend. L’attention s’apprend. Tout cela ne va pas de soi alors que pourtant nous portons cela en nous de façon potentielle et ce grâce à notre sensibilité, notre capacité de sentir de ce qui est bien, ce qui est bon pour tous.

Un débat s’ouvre ainsi sur la morale et son lien avec la sensibilité. Dans le questionnaire lancé auprès des déportés pour le colloque sur le pardon, je leur avais demandé s’ils avaient pu garder intacte leur sensibilité. Les réponses furent extraordinaires. Préservons donc nos sensibilités, notre capacité de ne pas être indifférents, notre capacité aussi de reconnaître.

Je suivrai sur ce point l’admirable ouvrage de Paul Ricoeur. Il fut aussi son dernier ouvrage : Le parcours de la Reconnaissance, publié chez Stock en 2004. Je conseille vivement à chacun la lecture cet ouvrage. Pourquoi donc Paul Ricœur ressentit-il le besoin d’écrire sur la reconnaissance ? D’un point de vue purement épistémologique, l’auteur explique qu’il n’existait pas à ce jour de « théorie de la reconnaissance digne de ce nom. Or cette lacune étonnante fait contraste avec la relative cohérence qui permet au mot lui-même de figurer dans un dictionnaire comme une unité lexicale unique en dépit de la multiplicité de ses acceptions. » Sur le plan social, cette étude arrive à point nommé. En effet pourquoi s’indigne-t-on ou doit-on s’indigner sinon parce que la reconnaissance fondamentale du statut d’égalité n’est pas rendue possible par une conjonction de décisions, ou par l’absence de décisions qui rendrait cependant cette reconnaissance possible ?

En cela la réception de Monsieur Hessel, le vendredi 11 mars, à la Mairie de Lille constitue-t-elle la reconnaissance du bienfondé de son cri : « indignez-vous ». Le soutien de la Mairie de Lille au colloque que j’organisais en tant que membre du conseil d’administration de l’Association Buchenwald-Dora et Kommandos et en tant qu’enseignant-chercheur de l’Université de Lille dite « Université Catholique de Lille » qui renferme aussi le « Centre Culturel Vauban » et qui travaille aussi avec l’ « Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 » (sise à Villeneuve d’Ascq, pour le pôle sciences humaines) sur des thématiques communes, constitue la reconnaissance du bienfondé de ce travail. Je me réjouis donc de la vigilance ainsi permise pour faire s’exprimer dans la cité, ce qu’il y a de plus humain en nous : notre volonté de respect des dignités humaines. Je me réjouis de la possibilité d’un travail commun pour développer ce respect.

Cathy Leblanc.

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 12:41

 

                La question de l’universalité se pose aujourd’hui alors que le débat politique se concentre sur la notion de catégorie. Il convient d’explorer à nouveaux frais le terme « universel » de manière à montrer qu’il existe une très grande gamme de concepts vécus et partagés universellement mais appliqués de façon singulière par les dites catégories. Ce que révèle alors le terme « universel », c’est le partage de l’essence. Ce que montre le particulier, ce sont les formes multiples et disparates que peuvent prendre les concepts universels.

                Par exemple, l’amour est un concept universel. Pourtant la relation amoureuse est absolument différente selon que l’on se trouve dans un pays occidental ou oriental, au Nord ou au Sud de la planète. Le code, le langage, les rites, l’impact : tout est différent. Mais on parle bien d’un seul et même concept, un concept universel.

                Autre exemple : la peine. On conçoit la peine partout dans le monde. C’est donc un concept universel. Pourtant la manière dont un deuil est vécu est tout sauf semblable que l’on se trouve dans telle ou telle partie du monde, dans telle ou telle société, dans telle ou telle famille aussi. Les formes particulières sont innombrables et variées.

                J’en viens au concept qui me préoccupe et qui a fait l’objet d’un dialogue interculturel il y a peu de temps : le pardon. Le pardon est un concept présent partout dans le monde, dans tous les niveaux sociaux. La façon dont on le conçoit et dont on le dispense varie elle aussi en les formes qu’elle prend. Mais l’essence, le concept fait bel et bien partie des concepts universels. Le colloque qui était organisé dernièrement à l’Université Catholique de Lille par l’Association Buchenwald-Dora et Kommandos et la Faculté de Théologie avait pour objectif de montrer cette amplitude universelle et d’explorer la variabilité sémantique du pardon. On a pu ainsi écouter la parole des théologiens qui ont une conception bien particulière du pardon, des philosophes, qui ont proposé une analyse résultant de l’histoire de la pensée (Ricoeur, Jankelevich, Macintyre, etc.), des médecins psychiatres qui ont montré comment se vivait le traumatisme et comment il pouvait se heurter au pardon, puis des personnalités directement impliquées dans la vie de la déportation et qui ont montré de façon plus évidente les risques qui étaient ressentis face à l’idée de pardon. Le questionnaire lancé auprès des déportés a d’ailleurs mis en évidence la perception du risque d’oubli face au pardon bien que certains considèrent le pardon comme nécessaire et s’en explique (cf. Sam Braun aux rencontres de Blois).

                En ma qualité de philosophe et par respect de la déontologie relative à ma pratique, j’ai tenu à souligner dès le début du colloque qu’il ne s’agissait pas de prescrire telle ou telle attitude mais que notre enquête visait à comprendre comment l’on peut avoir des théories aussi fermes que celles que l’on trouve dans la parole religieuse d’une part, et des doutes aussi importants que ceux qui émanent des personnes qui ont vécu le pire et qui n’ont pas nécessairement à leur disposition les moyens linguistiques leur permettant de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent.

                Je suis reconnaissante à la Faculté de Théologie de l'Université Catholique de Lille où j'exerce la profession de "Maître de Conférences en Philosophie" d’avoir pris la peine d’étudier le dossier de demande de soutien que je lui avais adressé et d’avoir accepté de me laisser tenir en ses murs un dialogue à visée interculturelle et strictement interculturelle puisque le pardon est tout sauf exclusivement religieux (ce qui était précisé dans le dossier). Que celui qui le pense se garde à jamais de prononcer le mot « pardon » ou toutes les formules équivalentes qui s’y rapportent. Ces différentes formes ont d’ailleurs fait l’objet d’une analyse minutieuse par un linguiste.

                Je suis aussi très reconnaissante aux associations de la confiance qu’elles me témoignent dans le travail que je fais avec elles en vue de lutter contre un renouveau de la barbarie car je suis convaincue que la barbarie ne touche pas que les milieux dits « laïques » et que le message qui vient éclairer les consciences peut valoir pour tout le monde sans exception.

Cathy Leblanc

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 13:56

Un jour Patrick Dupond a dit que l’important dans la danse était de faire en sorte que l’autre soit beau. J’ai toujours gardé cette petite phrase au creux de ma sensibilité et j’ai pensé qu’elle pouvait constituer un merveilleux principe de vie et de partage. Toujours veiller à ce que l’autre soit beau. Cette pensée de l’altérité appliquée à la danse constitue un véritable principe éthique. Il ennoblit la personne à qui il est destiné, personne qu’il rend belle, il ennoblit également son auteur, lui octroyant la grandeur morale issue de son geste. A l’issue de cette mise en œuvre ou mise en lieu de la beauté éthique, chacun se trouve grandit.

Dans un cours que je donnais dernièrement, j’avais abordé l’esthétique du geste éthique et nous sommes ici au cœur même de cette question. Je me demande si l’on cherche aujourd’hui, dans les grands débats qui sont lancés, à respecter ce principe à la fois éthique et esthétique. L’une des questions que je me pose est la suivante : veut-on véritablement faire la guerre à l’humiliation, à la réduction, au rabaissement, au préjugé, à la haine ? Veut-on véritablement assimiler l’un à l’autre et faire de l’un l’équivalent de l’autre, en droit ? Veut-on vraiment travailler en profondeur sur l’égalité des droits, sur le lien fraternel qui unit tous les hommes et qui fait partie des devises de la République française, assure-t-on en cela la liberté de la communauté fraternelle et la liberté de chacun ?

J’ai beaucoup travaillé sur la philosophie de l’éducation anglo-saxonne et il y a dans les pays anglo-saxons un code d’éthique des professions de l’éducation. Ce code stipule qu’en aucun cas le professeur n’a le droit d’humilier ou de ridiculiser l’élève. Il n’a pas non plus le droit de le prendre à parti. Mais l’un des principes-clés de la pédagogie doit être la valorisation. Seule cette valorisation conduit l’élève à conquérir toute sa créativité, à trouver confiance et à pouvoir se développer sur des bases saines. La critique peut se faire à bon escient et quand elle est nécessaire.

Ceci m’amène aussi à me demander si nous sommes capables aujourd’hui de valoriser la différence et de faire valoir l’altérité ? Les peuples, les religions, les religieux, les groupes ethniques se sentent-ils aujourd’hui contribuer à la richesse collective et au patrimoine commun ou bien celui-ci n'est-il pas en train de se désagréger ?

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 19:46

Le soupçon…

Voilà quelques années maintenant que je travaille sur la thématique de la déportation. J’ai commencé alors que j’étais professeur d’anglais à Lille 3 et je continue maintenant alors que je dispose d’un poste d’enseignant-chercheur qui me permet de bénéficier du soutien de l’institution dans laquelle je travaille pour l’organisation de mes travaux et mes projets de colloques. Depuis de nombreuses années j’explore les tenants et les aboutissants de la déshumanisation et il est un thème sur lequel je reviens alors, de façon systématique : celui de la catégorie. C’est par l’identification de certaines catégories que l’on peut ensuite les exclure. Le travail d’identification constitue alors un acte de langage qui vient modeler la réalité fléchée. Par exemple on emplit un signifié donné de réalités supposées. C’est le fonctionnement même du soupçon. Le préjugé s’invite de la même façon.

La catégorie fléchée répond alors irrémédiablement aux traits définitionnels qu’on lui a apposés et imposés. Elle devient comme engluée dans une toile d’araignée là où le fil soigneusement tissé vient transformer son identité.

Beaucoup d’exemples se prêtent à l’exercice. Si l’on réfléchit à l’image de l’immigré que la xénophobie vient mettre sur la scène, on trouve facilement les traits définitionnels qui vont l’exclure. Il constitue une menace pour une société se sentant légitime mais dont la xénophobie est tout sauf légitime. L’image du Juif a suivi le même modèle : on lui appose toute une série de préjugés qui vont perdurer, comme celui selon lequel il est riche. Mais dans la société française contemporaine on trouve aussi d’autres exemples. Il est tout sauf évident de montrer la sincérité dans laquelle on travaille quand c'est dans une institution universitaire dite "catholique" à des personnes qui sont convaincues que les milieux catholiques s'adonnent nécessairement à la spéculation et au prosélytisme. Comment prouver le contraire ? Comment prouver la sincérité d’une intention ? Comment contrer les soupçons et faire valoir la sincérité de sa démarche ? 

Tous ces préjugés viennent fragiliser les catégories qu’ils touchent. Un préjugé est blessant. Le soupçon est blessant. J’ai pris des exemples très différents mais ils convergent tous vers une même réalité : le sentiment d’exclusion et l’acte de langage visant à exclure sont destructeurs. L'esclusion et le sentiment qu'elle procure sont destructeurs et garants de déshumanisation. Je m’interroge aujourd’hui sur la manière de contrer ce type de destruction et sur la manière de proposer un dépassement du préjugé. Si ce dépassement avait été possible dans les années 30, il n'y aurait pas eu de génocide car le nationalisme et la haine n'auraient pas eu de prise. Comment faire comprendre cela ?

Le travail que j’effectue aujourd’hui, en réfléchissant, à partir de colloques, de séminaires, d’articles sur la barbarie de A à Z, vise à rassembler les mondes dans leur différence et leur singularité et faire en sorte qu’un dialogue constructif puisse avoir lieu, un dialogue qui n’exclut personne, où chacun est le bienvenu, et qui soit capable de trouver de l’intérêt dans la différence.

Je vous remercie de votre soutien sincère et incessant.

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 09:48

Des événements banalement quotidiens (mais structuralement quotidiens) m’amènent à réfléchir sur les modalités de l’excuse. Nous avons récemment grâce au linguiste qui intervenait dans la table ronde du colloque sur le pardon, montré que l’excuse pouvait être formulée à partir de mots, de gestes, de modalités bien différentes les unes des autres. L’excuse n’a pas non plus besoin d’être d’une évidence manifeste, elle ne requiert pas nécessairement « le mot » dit « mot d’excuse ». Un signe peut tout aussi bien valoir pour l’excuse. Il faut donc se représenter l’excuse dans la gamme de ses équivalences. Oui, mais alors, l’équivalence fait-elle sens au même titre que l’excuse. Dire « Excusez-moi s’il vous plaît » vaut-il « Merci de votre compréhension » ou encore «  je me suis emporté(e), j’étais fatigué(e) » ou « je suis allé€ trop loin » ? On peut aussi se demander si ces formes équivalentes ne finissent pas par revêtir davantage de sens que l’excuse elle-même.

La position que nous défendrons est celle selon laquelle les médiations ou voies détournées sont, au final, toujours plus marquantes dans la mesure où elles respectent davantage la liberté de l’interlocuteur. Elles ont aussi l’avantage de proposer une explication rationnelle au fait regretté. Dire « je me suis emporté(e) », c’est reconnaître la raison exacte pour laquelle on a pu peiner autrui alors que dire « Je vous prie de m’excuser », c’est solliciter l’effacement de la dette encourue par l’excès. D’une certaine façon, on est plus exigeant vis-à-vis de l’interlocuteur quand on lui demande de nous excuser que lorsque l’on décrit le fait regretté. Dans cette dernière attitude, la dette est absente. On n’est pas sur le même niveau que celui de l’excuse à cet égard. On fait bien plutôt appel à l’empathie et à la compréhension qu’à une décision ou un accord en vue de l’effacement de la dette.

Sur le plan éthique, je pense qu’il vaut mieux proposer à l’interlocuteur d’entrer dans une relation empathique plutôt que de lui imposer la décision ou non de l’effacement de la dette, ce qui le place dans un rapport d’autorité en lui alléguant la place de choix alors que le conflit émerge souvent de rapports d’autorité.

Dans ce cas, et puisqu’il y a lutte, même symbolique, la valorisation d’une position occupée par l’altérité, la reconnaissance du bienfondé de cette position et quand bien même on n'y adhère pas, pourra même valoir l’excuse et exclut le rapport d’autorité puisque la valorisation permet au locuteur d’asseoir sa position. On est sur un plan d’également ou hors-autorité.

Voilà, après le « pardon », quelques pistes que je souhaite livrer en vue d’un débat d’idées.

Je vous remercie et vous dis : "A demain !"

CL.

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 14:43

 

Un colloque sur le thème du pardon à l’épreuve de la déportation s’est tenu du 10 au 12 mars derniers à l’Université Catholique de Lille et était hébergé par la Faculté de Théologie. Ceci est déjà significatif. En effet on se représente souvent une faculté de théologie comme le lieu où s’exerce la croyance, une croyance étroite, où l’on forme ceux qui vont seulement dispenser cette étroite croyance, avec autorité et où le dialogue ouvert n’est pas opportun.

 

Quand j’ai été recrutée à la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lille, en qualité de Maître de Conférences en philosophie, j’ai été surprise de constater à quel point le dialogue était ouvert et que bien au-delà d’un souci pour la croyance, c’était un véritable engagement pour l’humain qui était là à l’œuvre. Je ne peux dire le plaisir que j’ai éprouvé quand j’ai compris qu’alors, j’avais carte blanche pour m’engager sur ce terrain : c'est-à-dire bel et bien celui de l’humain. Dans le discours qu’il proposa à la table ronde du samedi, le Père Hubau, Professeur en théologie, l’a bien rappelé : la Bible est d’abord un livre de sagesse. Et de la sagesse, il nous en manquera toujours et toujours plus à proportion que croitra la violence, la xénophobie, soit-elle sous la forme d’un antisémitisme évident ou d’une haine de toute catégorie qui s’apparente à la différence : différence de peau, différence de culture, différence de croyance, différence d’engagement. Le combat qui s’y livre est donc bel et bien un combat contre l’intolérance avec toutes les formes qu’elle peut revêtir. Il inclut une réflexion profonde et attentive sur ce qu’il est possible de mettre en œuvre pour essayer de préserver la dignité humaine où qu’elle se trouve.

 

Alors, je voudrais dire toute la joie qui fut mienne lorsque la Faculté a donné spontanément son aval pour soutenir la tenue et l’organisation d’un colloque sur le pardon à l’épreuve de la déportation. C’est là une grande chance et la volonté de cette institution de soutenir cette thématique doit échapper à tout réductionnisme qui voudrait que l’on se contente d’y prêcher. Non, que fait-on à la Faculté de Théologie ? On lit les textes anciens, textes sacrés issus de cultures différentes, on entretient le dialogue entre les religions, on essaie de les comprendre (psychanalyse des religions), on dispense aussi un enseignement de philosophie que l’on souhaite à la fois formateur (histoire de la philosophie) ou engagé (philosophie des droits de l’homme, centre d’éthique). On se met aussi à l’écoute des différences et l’on accueille la différence : différence d’orientation, de méthode, de perspective.

 

Le colloque a donc rassemblé des personnalités provenant d’institutions différentes : les institutions appartenant directement au monde de la déportation (Association Buchenwald-Dora et Kommandos, Fondation pour la mémoire de la déportation, Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, ONAC), mais aussi des associations à but humanitaire comme l’Association Valentin Hauy (donneurs de voix) qui a permis une lecture professionnelle des témoignages envoyés par les déportés ou leurs enfants, et finalement, des institutions académiques diverses (Lycée de Melk[Autriche], représenté par Karl Thyr, Professeur en philosophie, Université de Milwaukee[USA] représentée par le Professeur Pol Vandevelde, Institut d’Etude des Faits religieux hébergé par l’Université publique d’Artois, Institut Catholique de Lille). Il faut aussi mentionner le soutien de la Ville de Lille pour la séance publique du samedi. Le colloque était tout sauf « privé ».

 

Je voudrais dire à quel point je suis heureuse de cette mutualité dans l’effort et je voudrais encore dire que je souhaite pouvoir accroître cette mutualité à l’avenir.

 

Les nombreux dialogues qui ont eu lieu ont montré que non seulement les personnes qui s’étaient inscrites au colloque (plus d’une cinquantaine au total et finalement), mais aussi les intervenants, étaient préoccupés par cette question du pardon, tant au plan diplomatique et politique –elle prend alors la forme de la réconciliation- qu’au plan personnel. Ces dialogues ont montré qu’il pouvait y avoir un lien entre l’impossibilité d’accorder son pardon à des tortionnaires, ce qui est tout à fait légitime, et l’impossibilité, en écho, de le dispenser dans sa vie quotidienne. Nous avons compris que l’épreuve de la déportation ne concernait pas seulement des personnes à un moment donné de l’histoire mais qu’elle entraînait des difficultés pour la descendance et pour la représentation de certains concepts.

 

Au sortir de ces trois jours de réflexions mais aussi de bonne humeur où les uns les autres ont fait connaissance des uns et des autres, ont trouvé intérêt dans ce que faisait les uns les autre, nous ne pouvons qu’espérer poursuivre l’entreprise et j’espère vivement que ce colloque sera le premier d’une série de réflexions thématiques qui permettra aux uns aux autres de se rapprocher, de se comprendre, de s’entre-aider et de s’apprécier dans le respect et la dignité posée par la Déclaration Universelle des Droits de l’homme comme un bien inaliénable. Je vous remercie.

 

Autorisation vous est donnée par l'auteure de diffuser cet article à toute institution, instance ou personne qu'il pourrait intéresser.

 

Cathy Leblanc,

Maître de Conférences en Philosophie,

Responsable du cours de Philosophie des Droits de l'Homme

Membre du réseau des Femmes Philosophes de l'Unesco.

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  • : Blog de Cathy Leblanc, professeur en philosophie à l'Institut catholique de Lille. Thèmes de recherche : la barbarie et la déshumanisation, la phénoménologie heideggerienne. Contact : cathy.leblanc2@wanadoo.fr Pas d'utilisation de la partie commentaires pour avis publicitaire svp.
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